•  

    Il y avait à Ploumilliau un forgeron qui s'appelait Fañch ar Floc'h. Ses affaires marchaient fort bien car il était très habile dans son métier. Il avait toujours plus de travail qu'il n'en pouvait exécuter. Ses enfants étaient bien nourris, bien tenus.
    Bref, ce n'était pas lui qui aurait eu besoin de passer un pacte avec le vieux Polig. Au surplus, c'est une chose qu'il n’ aurait jamais faite, car il était trop bon chrétien pour cela.


    Cette année là, la veille de Noël, il se hâtait de terminer les travaux les plus urgents afin d'être libre pour la fête, quand se présenta un de ces meilleurs clients qui lui apportait une paire de roues de char à bancs à ferrer. Il en avait absolument besoin pour le lendemain parce qu'il devait aller porter ses voeux à son vieux parrain qui demeurait au - delà de Morlaix. Il insista tant que Fañch promit de faire un effort et de tenir prêtes, coûte que coûte, les deux roues pour le lendemain à la première heure.

     

     

    Mais ferrer une roue n'est pas un petit travail. Il faut retirer la vieille ferrure, puis façonner un cercle neuf à la taille convenable et vous voyez le temps que cela prend. On porte ensuite ce cercle au rouge pour le dilater et quand il est à l'exacte température voulue, il faut sans perdre un instant l'ajuster avec adresse et avec beaucoup de précision autour de la jante de bois puis l'arroser d'eau froide afin qu'il ne brûle pas le bois et se rétracte tout de suite, emprisonnant la roue dans un étau dont elle ne puisse se dégager. Ces opérations étaient loin d'être achevées quand sa femme appela Fañch pour le souper. Il congédia ses compagnons et son apprenti et, en se mettant à table, déclara à son épouse :
    - Il faudra que tu ailles seule à la messe de minuit avec les enfants : je ne serai jamais prêt à t'accompagner. J'ai encore une roue à ferrer, que j'ai promise pour demain sans faute.
    - Tu comptes y arriver seul?
    - Il le faut bien. C'est éreintant, mais je l'ai déjà fait. Quand j'aurai fini, je ne serai pas en état d'aller à l'église : c'est de mon lit que j'aurai besoin.
    - Fais attention, au moins, que la cloche de l'Elévation ne te trouve pas encore au travail.
    - Oh! Pour cela, sois tranquille. A ce moment - là je ronflerai déjà comme un bienheureux.  

     

     

        

    Sa dernière bouchée avalée, il retourna à son enclume et se mit à battre le fer avec ardeur. Pour se mettre dans l'ambiance de Noël, il fredonnait le cantique "War ar ménez, ar Bastored" (sur la montagne, les bergers...). Il avait laissé la fenêtre de la forge ouverte pour être sûr d'entendre sonner les cloches. Il aperçut sa femme et ses enfants qui partaient pour le bourg, des lanternes à la main, dans le vent et la froidure. Il leur cria bonne route et sa femme lui fit un petit signe de la main en disant :
    - Nous prierons pour toi. Mais souviens - toi, surtout, de ne pas dépasser l'heure sainte.
    - Aucun danger. J'aurai bientôt fini. Et je surveille l'heure.
    Quand on est occupé, on ne se rend pas compte de la fuite du temps. Et quand on tapa à tour de bras sur des morceaux de fer avec un gros marteau, il n'est pas étonnant qu'on n'entende pas le carillon des cloches dans le lointain. Au moment où il se dit que la messe n'allait sans doute pas tarder à commencer, le prêtre avait déjà achevé de distribuer la communion.
    Le bandage était terminé et il n'avait plus qu'à le faire chauffer au fer rouge afin d'en cercler la roue. Il quitta donc son enclume pour aller tirer sur la chaîne de son grand soufflet, lorsqu'il s'aperçut qu'un personnage dont il ne pouvait distinguer les traits le contemplait par la fenêtre ouverte.

     

     

        

    - Salut, répondit - il poliment, car il avait de bonnes manières.
    Il remarqua que l'homme était grand et maigre, qu'il était vêtu de noir et coiffé d'un feutre à larges bords. Mais ni la voix ni la silhouette ne lui rappelaient qui que ce fût du pays.

    - J'ai vu de la lumière chez vous, reprit l'inconnu, et j'aurais justement besoin de vos services.
    - Je suis désolé, dit Fañch, mais je ne vais pas pouvoir vous satisfaire, car il faut que je finisse de ferrer cette roue et je ne voudrais pas que la cloche de l'Elévation me surprenne en plein travail. L'homme eut un petit rire sarcastique.
    - Pour cela, forgeron, vous retardez quelque peu.
    - Que voulez - vous dire?
    - Il y a un bon quart d'heure que la cloche de l'Elévation a sonné.
    - Mon Dieu! Ce n'est pas possible!
    - Eh si! De sorte que maintenant, travailler un peu plus, un peu moins, ça ne changera rien. D'ailleurs, ce que j'ai à vous demander ne vous prendra pas plus de cinq minutes. Il s'agit seulement de river un clou.
    L'inconnu saisit une faux qu'il avait appuyée contre le mur et en montra la lame qui branlait autour du manche.
    - Vous voyez, il manque un clou.
    - Bon, dit Fañch, on va vous réparer ça. Mais, par Dieu, qu'avez - vous à faire avec une faux dans la nuit de Noël?
    - Ceci n'est pas votre affaire, dit l'homme d'un ton sec. Faites votre travail c'est tout.

      

    Le forgeron avait hâte de se débarrasser du personnage, dont les manières ne lui plaisaient pas du tout. Il prit la faux et la posa sur son enclume.


    - Mais dites donc! Elle est emmanchée à l'envers cette faux. Le tranchant est tourné en dehors. Quel est l'abruti qui vous a fait ce travail?
    - Ne vous inquiétez pas de ça. Laissez la lame montée comme elle est et occupez vous seulement de la fixer solidement.
    Fañch, qui n'aimait pas qu'on lui parle sur ce ton, ne desserre plus les dents et se dépêcha, en quelques coups de marteau rageurs, de river un autre clou à la place de celui qui manquait.
    -Voilà votre outil, dit - il. Le fer ne bougera plus.
    - Merci. Maintenant, je vais vous payer.
    - Bah! Ce n'était rien, ça ne vaut pas qu'on en parle.
    - Toute peine mérite salaire, mais ce n'est pas de l'argent que je vous offre, Fañch ar Floc'h. Un précieux avertissement je ne dis pas. Mettez vos affaires en ordre, recommandez votre âme à Dieu et, dès que votre femme rentrera, dites - lui de retourner tout de suite au bourg chercher le prêtre car, au premier chant du coq, je viendrai vous prendre.
    Fañch se dépêcha d'achever de ferrer sa roue, car un travail promis doit être exécuter. Puis il rentra classer quelques papiers et dresser la liste des créances que sa femme aurait à recouvrer. Après quoi, il se mit au lit. Il était bouillant de fièvre.
    Sa femme le trouva le visage baigné de sueur, les yeux mi - clos, récitant son chapelet.
    - Hâte toi, lui demanda - t - il, d'aller quérir le prêtre.
    Au chant du coq, il rendit l'âme, pour avoir forgé la faux de l'Ankou.

      

    Bonne lecture....

    Excellente fin de journée...

      


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    Au XI ième siècle, les habitants de la ville de Coventry en Angleterre menaient une existence difficile, écrasés par impôts que Léofric, Comte de Chester, prélevait pour financer l'embellissement de la ville et pour les festivités qu'il y donnait.
    Sa jeune épouse, Lady Godiva, prit pitié de ces gens et implora son mari de diminuer les taxes.

    Il aurait accepté de réduire les impôts à condition que sa femme traversât nue la place du marché de Coventry sachant qu'elle n'oserait jamais le faire.

     

     

    Elle demanda que tous les habitants restent chez eux afin de n'être vue par personne. La consigne fut respectée et à son retour son mari considérant que c'était presque un miracle, décida de réduire les taxes à l'exception de celle sur les chevaux qu'il n'avait pas instituée.

    Dans une chanson plus tardive du XVII ième siècle on raconte que seul un tailleur appelé "Peeping Tom" osa la regarder passer. Mais il perdit aussitôt la vue.
    De nos jours, la bonne ville de Coventry commémore encore cet événement tous les ans.

     

     

    Statue de Lady Godiva dans la ville de Coventry

     

    Bonne découverte.....

     


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    Premier sourire de printemps

     

    Tandis qu’à leurs œuvres perverses
    Les hommes courent haletants,
    Mars qui rit, malgré les averses,
    Prépare en secret le printemps.

     

    Pour les petites pâquerettes,
    Sournoisement lorsque tout dort,
    II repasse des collerettes
    Et cisèle des boutons-d’or.

     

    Dans le verger et dans la vigne,
    II s’en va, furtif perruquier,
    Avec une houppe de cygne,
    Poudrer à frimas l’amandier.

     

    La nature au lit se repose ;
    Lui, descend au jardin désert
    Et lace les boutons de rose
    Dans leur corset de velours vert.

     

    Tout en composant des solfèges
    Qu’aux merles il siffle à mi-voix,
    II sème aux prés les perce-neige
    Et les violettes au bois.

     

    Sur le cresson de la fontaine
    Où le cerf boit, l’oreille au guet,
    De sa main cachée il égrène
    Les grelots d’argent du muguet.

    Sous l’herbe, pour que tu la cueilles,
    II met la fraise au teint vermeil,
    Et te tresse un chapeau de feuilles
    Pour te garantir du soleil.

     

    Puis, lorsque sa besogne est faite,
    Et que son règne va finir,
    Au seuil d’avril tournant la tête,
    II dit : « Printemps, tu peux venir ! »

     

    Théophile Gautier (1811-1872)   

      

     

     

     

    Le Printemps

     

    Te voilà, rire du Printemps !
    Les thyrses des lilas fleurissent.
    Les amantes qui te chérissent
    Délivrent leurs cheveux flottants

     

    Sous les rayons d'or éclatants
    Les anciens lierres se flétrissent
    - Te voilà, rire du Printemps !
    Les thyrses de lilas fleurissent.

     

    Couchons-nous au bord des étangs,
    Que nos maux amers se guérissent !
    Mille espoirs fabuleux nourrissent
    Nos cœurs gonflés et palpitants.
    - Te voilà, rire du Printemps !

     

    Théodore de Banville (1823-1891)

     

     

     

     

    Le Printemps

    Après tout ce blanc vient le vert,
    Le printemps vient après l’hiver.
    Après le grand froid le soleil,
    Après la neige vient le nid,
    Après le noir vient le réveil,
    L’histoire n’est jamais finie.
    Après tout ce blanc vient le vert,
    Le printemps vient après l’hiver,
    Et après la pluie le beau temps.

    Claude Roy.   

     

     

     

     

     


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    Si vous étiez moins raisonnable,
    Je me garderais bien de venir vous conter
    La folle et peu galante fable
    Que je m'en vais vous débiter.
    Une aune de Boudin en fournit la matière.
    Une aune de Boudin, ma chère !
    Quelle pitié ! c'est une horreur
    S'écriait une Précieuse,
    Qui toujours tendre et sérieuse
    Ne veut ouïr parler que d'affaires de coeur.
    Mais vous qui mieux qu'âme qui vive
    Savez charmer en racontant,
    Et dont l'expression est toujours si naïve,
    Que l'on croit voir ce qu'on entend ;
    Qui savez que c'est la manière
    Dont quelque chose est inventé,
    Qui beaucoup plus que la matière
    De tout Récit fait la beauté,
    Vous aimerez ma fable et sa moralité ;
    J'en ai, j'ose le dire, une assurance entière.

      

     

    Il était une fois un pauvre Bûcheron
    Qui las de sa pénible vie,
    Avait, disait-il, grande envie
    De s'aller reposer aux bords de l'Achéron :
    Représentant, dans sa douleur profonde,
    Que depuis qu'il était au monde,
    Le Ciel cruel n'avait jamais
    Voulu remplir un seul de ses souhaits.
    Un jour que, dans le Bois, il se mit à se plaindre,
    À lui, la foudre en main, Jupiter s'apparut.
    On aurait peine à bien dépeindre
    La peur que le bonhomme en eut.
    Je ne veux rien, dit-il, en se jetant par terre,
    Point de souhaits, point de Tonnerre,
    Seigneur demeurons but à but.
    Cesse d'avoir aucune crainte ;
    Je viens, dit Jupiter, touché de ta complainte,
    je faire voir le tort que tu me fais.
    Ecoute donc. Je te promets,
    Moi qui du monde entier suis le souverain maître,
    D'exaucer pleinement les trois premiers souhaits
    Que tu voudras former sur quoi que ce puisse être.
    Vois ce qui peut te rendre heureux,
    Vois ce qui peut te satisfaire ;
    Et comme ton bonheur dépend tout de tes voeux,
    Songes-y bien avant que de les faire.
    À ces mots Jupiter dans les Cieux remonta,
    Et le gai Bûcheron, embrassant sa falourde,
    Pour retourner chez lui sur son dos la jeta.
    Cette charge jamais ne lui parut moins lourde.
    Il ne faut pas, disait-il en trottant,
    Dans tout ceci, rien faire à la légère ;
    Il faut, le cas est important,
    En prendre avis de notre ménagère.
    Ça, dit-il, en entrant sous son toit de fougère,
    Faisons, Fanchon, grand feu, grand chère ;
    Nous sommes riches à jamais,
    Et nous n'avons qu'à faire des souhaits.
    Là-des jus tout au long le fait il lui raconte.
    A ce récit, l'Epouse vive et prompte
    Forma dans son esprit mille vastes projets ;
    Mais considérant l'importance
    De s'y conduire avec prudence :
    Blaise, mon cher ami, dit-elle à son époux,
    Ne gâtons rien par notre impatience ;
    Examinons bien entre nous
    Ce qu'il faut faire en pareille occurrence ;
    Remettons à demain notre premier souhait
    Et consultons notre chevet.
    Je l'entends bien ainsi, dit le bonhomme Blaise ;
    Mais va tirer du vin derrière ces fagots.
    À son retour il but, et goûtant à son aise
    Près d'un grand feu la douceur du repos,
    Il dit, en s'appuyant sur le dos de sa chaise :
    Pendant que nous avons une si bonne braise,
    Qu'une aune de Boudin viendrait bien à propos !
    À peine acheva-t-il de prononcer ces mots
    Que sa femme aperçut, grandement étonnée,
    Un Boudin fort long, qui partant
    D'un des coins de la cheminée,
    S'approchait d'elle en serpentant.
    Elle fit un cri dans l'instant ;
    Mais jugeant que cette aventure
    Avait pour cause le souhait
    Que par bêtise toute pure
    Son homme imprudent avait fait,
    Il n'est point de pouille et d'injure
    Que de dépit et de courroux
    Elle ne dît au pauvre époux.
    Quand on peut, disait-elle, obtenir un Empire,
    De l'or, des perles, des rubis,
    Des diamants, de beaux habits,
    Est-ce alors du Boudin qu'il faut que l'on désire ?
    Eh bien, j'ai tort, dit-il, j'ai mal placé mon choix,
    J'ai commis une faute énorme,
    Je ferai mieux une autre fois.
    Bon, bon, dit-elle, attendez-moi sous l'orme,
    Pour faire un tel souhait, il faut être bien boeuf !
    L'époux plus d'une fois, emporté de colère,
    Pensa faire tout bas le souhait d'être veuf,
    Et peut-être, entre nous, ne pouvait-il mieux faire :
    Les hommes, disait-il, pour souffrir sont bien nés !
    Peste soit du Boudin et du Boudin encore ;
    Plût à Dieu, maudite Pécore,
    Qu'il te pendît au bout du nez !
    La prière aussitôt du Ciel fut écoutée,
    Et dès que le Mari la parole lâcha,
    Au nez de l'épouse irritée
    L'aune de Boudin s'attacha.
    Ce prodige imprévu grandement le fâcha.

    Fanchon était jolie, elle avait bonne grâce,
    Et pour dire sans fard la vérité du fait,
    Cet ornement en cette place
    Ne faisait pas un bon effet ;
    Si ce n'est qu'en pendant sur le bas du visage,
    Il l'empêchait de parler aisément,
    Pour un époux merveilleux avantage,
    Et si grand qu'il pensa dans cet heureux moment
    Ne souhaiter rien davantage.
    Je pourrais bien, disait-il à part soi,
    Après un malheur si funeste,
    Avec le souhait qui me reste,
    Tout d'un plein saut me faire Roi.
    Rien n'égale, il est vrai, la grandeur souveraine ;
    Mais encore faut-il songer
    Comment serait faite la Reine,
    Et dans quelle douleur ce serait la plonger
    De l'aller placer sur un trône
    Avec un nez plus long qu'une aune.
    Il faut l'écouter sur cela,
    Et qu'elle-même elle soit la maîtresse
    De devenir une grande Princesse
    En conservant l'horrible nez qu'elle a,
    Ou de demeurer Bûcheronne
    Avec un nez comme une autre personne,
    Et tel qu'elle l'avait avant ce malheur-là.
    La chose bien examinée,
    Quoiqu'elle sût d'un sceptre et la force et l'effet,
    Et que, quand on est couronnée,
    On a toujours le nez bien fait ;
    Comme au désir de plaire il n'est rien qui ne cède,
    Elle aima mieux garder son Bavolet
    Que d'être Reine et d'être laide.
    Ainsi le Bûcheron ne changea point d'état,
    Ne devint point grand Potentat,
    D'écus ne remplit point sa bourse,
    Trop heureux d'employer le souhait qui restait,
    Faible bonheur pauvre ressource,
    A remettre sa femme en l'état qu'elle était.
    Bien est donc vrai qu'aux hommes misérables,
    Aveugles, imprudents, inquiets, variables,
    Pas n'appartient de faire des souhaits,
    Et que peu d'entre eux sont capables
    De bien user des dons que le Ciel leur a faits.

    (Se contenter de ce qu'on l'on a,

    quelquefois c'est bien mieux...)

     

    (images et texte trouvés sur le net)

     

    Bon week-end

      


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  • Episode neigeux à Dol de Bretagne....

     

    Episode neigeux à Dol de Bretagne....

     

    Episode neigeux à Dol de Bretagne....

     

    Episode neigeux à Dol de Bretagne....

     

    Episode neigeux à Dol de Bretagne....

     

    Photos prises dans mon jardin le 12 mars 2013

     


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